Mohammad Amir-Moezzi – Le guide divin dans le shi’isme originel – Extraits

Mohammad Amir-Moezzi – Le guide divin dans le shi’isme originel – Extraits

Ce donne un aperçu historique et ésotérique très intéressant des origines de l’islam et en particulier de l’imamisme, un courant primitif peu connu du grand public.

p.11 : l’axe de la vision du monde imamite est la personne du Guide Parfait (l’imâm)

p.13 : ce livre traite de la période imamite du 7ème au 9ème siècle.

p.14 : l’imâmisme n’est pas une théologie rationelle de type mu’tazilite

p.15 : les imâms parlent du ‘aql, faussement traduit par « raison », c’est en fait l’organe de compréhension spirituelle

p.15 : l’imâmisme rationnel ou plus précisément « rationalisé » est assez tardif, postérieur à l’époque des imâms

p.15 : deux traditions imâmites de nature et de vision du monde totalement différentes, donc.

p.17 : Le ‘aql de la racine coranique => sorte de perception ou prise de conscience du divin consistant à la fois en une réflexion méditative, une remémoration, une intuition et une science immédiates

p.18 : « le ‘aql est l’axe autour duquel tourne la vérité », « le ‘aql est l’axe de notre religion »

p.19 : Le ‘aql et l’Ignorance se voient ensuite dotés de 75 Armées (jund) qui sont respectivement autant de qualités et de défauts moraux et spirituels, élevés au rang de puissances et de contre-puissances cosmiques, commençant leur lutte dès cette origine de l’univers

p.20 : Des ressemblances entre les conceptions imâmites et grecques deviennent sensibles dans les aspects éthiques et sotériologiques. Par contre la similitude de certaines idées avec le dualisme mazdéen (tardif?) est troublante, un dualisme non pas au niveau de Dieu mais de la création : le ‘aql a un opposé de même niveau ontologique, à savoir le jahl (Ignorance cosmique) — combat perpétuel entre les Armées du ‘aql et du jahl — ce qui rappelle le mythe iranien de la Guerre Primordiale tel que le rapporte al-Shahrastânî

p.21 : Au plan humain, le ‘aql imâmite est (…)  un don de Dieu, une faculté innée de connaissance transcendante, plus ou moins développée selon les individus

p.22 : embryon plus ou moins pétri de ‘aql. — Tout ce que peut faire l’homme c’est de le développer, d’actualiser le ‘aql, ce don divin à l’état potentiel, à l’aide du ‘ilm, c’est-à-dire de la science initiatique enseignée par les imâms

p.23 : La conception selon laquelle le coeur est le siège des pouvoirs psychiques ou spirituels est commune non seulement chez les musulmans (surtout avant l’influence progressive de la médecine grecque) et les sémites, mais aussi chez un grand nombre de peuples anciens (cf à ce sujet A. Guillaumont, « les sens du nom du coeur dans l’Antiquité » in Etudes Carmélitaines.) Cette conception prend une importance particulière dans l’imâmologie de l’imâmisme ancien puisqu’elle semble constituer la base spéculative d’une « technique » spirituelle, peut-être la plus importante de la doctrine primitive, à savoir la pratique de « la vision par (ou dans) le coeur »

p.26 : l’avènement de la Résurrection est intimement lié au « Retour » de l’imâm caché et à sa mission ultime de vaincre définitivement les forces de l’Ignorance

p.27 : C’est grâce au ‘aql qu’ils distinguent le beau du laid, qu’ils se rendent compte que l’obscurité est dans l’ignorance et la lumière dans la Science

p.30 : mystères des enseignements des imâms => constitué d’éléments cosmogoniques, mystiques, ésotériques voire magiques et occultes, somme toute non rationnels

p.35 : à partir du 6ème imâm : premières tendances d’opposition entre partisans et adversaires de l’usage de la théologie dialectique, le kalâm

p.39 :  un des principaux effets du rejet du kalâm et ses modes d’investigations par les imâms fut la prédominance de la tendance « rationaliste » des traditionalistes de ce qu’on appelle maintenant « l’Ecole de Qumm » et ce, pendant toute la période de la présence des imâms, celle de l’Occultation mineure (survenue en 874) et le début de l’Occultation majeure (941)

p.40 : Ce ne fut qu’à partir de la seconde moitié du Xe siècle que la tendance « rationaliste » des théologiens et juristes de « l’Ecole de Bagdad » commencèrent à prendre le dessus, sous l’impulsion de l’oeuvre monumentale d’al-shaykh al-Mufîd (1022) —- la prédominance aux « rationalistes » sur l’évolution de la doctrine imâmite de base, dès le 10ème siècle

p.41 : données cosmogoniques sur la préexistence des imâms => entités prééternelles lumineuses des imâms, initiation des entités spirituelles pures dans les mondes originels des « ombres » et des « particules », les Pactes préexistenciels, la création des esprits, des coeurs et des corps des imâms et de leurs fidèles d’une part, des « Ennemis » des imâms et de leurs partisans d’autre part, la conception et la naissance miraculeuse des imâms, la « clairvoyance » des imâms appliquée à « l’argile » des hommes pour connaître leur destin et les caractéristiques de ceux-ci.

p.42 : Science des imâms :

1) la connaissance du Monde Invisible
2) la connaissance du passé, du présent et du futur
3) la connaissance de la science de l’herméneutique (ta’wil) de tous les livres sacrés antérieurs
4) la connaissance de toutes les langues, du langage des bêtes, des oiseaux, des choses inanimées et des « métamorphosés »
5) la colonne de lumière que l’imâm peut visualiser à volonté pour y voir la réponse à toutes ses questions
6) « le marquage du coeur » et le « percement du tympan », comme moyens occultes de la « transmission » de la Science.

Sur leurs pouvoirs surnaturels :

1) la détention du pouvoir surnaturel du Nom Suprême de Dieu et des objets sacrés ayant appartenu aux prophètes
2) le pouvoir de ressusciter les morts, communiquer avec les trépassés, guérir les maladies
3) les pouvoirs de clairvoyance, « clairaudiance », physiognomonie
4) le déplacement instantané dans l’espace et le chevauchement des nuages
5) la pratique de la divination et de la magie
6) la relation avec l’esprit du Prophète Muhammad

p.43la seule version intégrale du Coran, contenant tous les mystères des cieux et de la terre, du passé, du présent et du futur, était en la possession de ‘Ali. La Vulgate constituée sous le califat de ‘Uthmân n’est, d’après les imâms, qu’une version altérée, falsifiée et censurée, ne contenant que le tiers du Coran intégral; celui-ci aurait été transmis secrètement d’un imâm à l’autre jusqu’à l’imâm caché qui l’aurait emmené avec lui dans son Occultation. Les hommes ne connaîtront le Coran intégral qu’après le Retour du mahdi

p.44 : Al-Nu’mânî, disciple d’al-Kulaynî, rapporte un grand nombre de traditions à caractère miraculeux, ésotérique et occulte et les présente d’une manière fort développée et bien construite. Prenons comme exemples, encore 6 séries de tradition : 1) la conception, la naissance et les facultés surnaturelles du douzième imâm, 2) le mahdî apportera une nouvelle Sunna, 3) la durée de son gouvernement avant l’avènement de la Résurrection finale, et pour ce qui est de ses « compagnons », : 4) ils seront non-arabes (‘ajam) et combattront essentiellement les arabes et les « musulmans » (à cause de leur traîtrise envers les îmams), 5) ils seront dôtés de pouvoirs surnaturels, 6) ce sont des initiés à l’enseignement ésotérique des imâms

p.46 : la doctrine imâmite originelle, présentée à travers les propos des imâms et enregistrée par les premiers compilateurs dont le dernier grand nom serait Ibn Bâbûye, est marquée sensiblement d’un caractère « hétérodoxe » ésotérique et mystique, voire magique et occulte. (…)
Dès après l’Occultation, vers le milieu du Xe siècle, à une époque profondément marquée par le rationalisme théologique surtout mu’tazilite, les théologiens et traditionnistes imâmites semblent s’être vus face à une somme d’enseignements « non rationnels » trouvait difficilement des bases justificatives aussi bien théologiques que coraniques. N’ayant plus un imâm « visible » à leur tête, vivant dans un milieu socialement hostile et politiquement imprévisible et à une époque intellectuellement tendue vers le rationalisme, les penseurs imâmites paraissent s’être vus contraints à faire une sorte de compromis entre la sauvegarde de la doctrine originelle et le souci de ne pas heurter brutalement les idéologies dominantes.

p.48 : La reconnaissance de la tradition ésotérique supra-rationnelle primitive constitue notre second critère méthodologique, puisque c’est par rapport à cette tradition que nous pouvons mesurer le degré de fidélité des sources à la doctrine originelle.

p.49 : « un certain équilibre entre « le rationalisme » et « le traditionalisme » fut rétabli par al-Tûsî. (…) al-Tûsî réussit à réhabiliter dans l’ensemble et d’une façon définitive, les compilations anciennes de type « traditionaliste » (…) on continuera à respecter leurs auteurs, à copier et recopier leurs oeuvres, mais à quelques exceptions tardives près, on essaya de garder un silence quasi absolu sur les traditions qui « posaient problème »

p.59 : Le chercheur un tant soit peu habitué à la littérature de hadith sunnite, aura sans doute une nette impression de « dépaysement » en abordant la tradition doctrinale imâmite. Bien que les deux catégories de traditions puissent aussi bien être appelées « traditions imâmites » puisqu’elles sont toutes deux fondées sur les propos des imâms, c’est surtout la seconde, dans la mesure où elle se distingue nettement de la tradition sunnite, qui mérite d’être étudiée comme étant la tradition imâmite à proprement parler; c’est elle qui contient les traits véritablement originaux de la doctrine.

p.61 : Les dits des imâms sont de nature aussi sacrée que ceux du Prophète, voire que les Paroles divines; cet aspect est explicitement exprimé dans une tradition remontant à Ja’far.

p.63 :  La solidité de la chaîne de transmission ne présente aucunement la même importance que dans le sunnisme. En effet, en milieu sunnite, un des critères fondamentaux de l’authenticité d’une chaîne, c’est l’autorité des Compagnons du Prophète. En milieu imâmite, non seulement la quasi-totalité de ces Compagnons ne jouissent d’aucun respect, mais ils sont considérés comme les pires ennemis du Prophète et de sa mission (…)

p.64 : Contredire la tradition sunnite semble constituer un autre critère du degré de crédibilité des traditions auquel ont fait allusion les imâms —- « la bonne direction se trouve dans la tradition qui contredit la « masse »

p.67 : à partir de l’époque de Ja’fa, les disciples, obéissent vraisemblablement à ses exhortations commencèrent à mettre par écrit systématiquement les propos des imâms, ce qui aurait abouti à l’élaboration des « 400 livres »

p.68 : appel de Ja’far pour mettre par écrit la tradition imâmite en présage du « temps des calamités »=> rédaction des 400 livres

p.69 : Ce fut au temps du shaykh al-Tûsi (1067) et pendant la vie d’al-Murtada, que ces deux bibliothèques ainsi que celle d’Al-Tûsî furent incendiées au cours des émeutes anti-shî’ites de Baghdad. Nombre d’exemplaires des « 400″ livres auraient été détruits à ce moment-là.

p.70 : recherche du corpus imâmite sous la forme la plus ancienne — il y a au sein de l’imamisme ancien deux traditions de nature et de teneur différentes. La première que j’ai appelée « la tradition ésotérique non rationnelle primitive » est celle qui a prévalu jusqu’à la moitié du Xe siècle; elle représente la phase pré-kalâmique et pré-philosophique de la doctrine, où le langage est encore à son stade pour ainsi dire « mythique », proprement imperméable au raisonnement dialectique. La seconde tradition, « la tradition rationnelle théologico-juridique », moins ancienne, devint prédominante à partir de cette époque et le resta jusqu’à nos jours, adoptant un langage de plus en plus « logique ». Je considère que les sources appartenant à la première tradition – ou tout du moins s’en rapprochant – reflètent d’une manière plus fidèle les enseignements originels des imâms

p.73 : La doctrine imâmite est entièrement dominée par l’ensemble sacré formé par le Prophète Muhammad, sa fille Fatima et les douze imâms, et appelé « les Quatorze Impeccables » ou les « Quatorze Preues ». Ces personnes forment une totalité  (…) —- exotérisme de l’Islam : par Mohammed, ésotérisme : par ‘Ali.

p.80 : Comme on le verra plus loin, la science initiatique et la conséquence en quelque sorte de cette dernière, les pouvoirs miraculeux constituent les deux principales caractéristiques de l’existence des imâms (…)

p.82 : Descriptions des entités de corps subtils => on rencontre des expressions telles que « des esprits faits de lumière ». On pourrait croire qu’il s’agit d’entités lumineuses d’une substance extrêmement subtile : « Avant d’être créé [matériellement], l’imâm… était une ombre faite de souffle, à droite du Trône divin. » —— « parfois ces ombres étaient de couleur verte »

p.86 : Le Pacte a eu lieu dans le Monde des ombres ou des particules qui de ce fait est également appelé le Monde du Pacte; ce sont les « êtres purs » sous forme de particules ou d’ombres rendues « conscientes », à qui Dieu fait conclure le Pacte sacré.

p.88 : Il serait logique de placer « l’Initiation Primordiale » après ce Pacte à quadruple serment. En effet, il est dit que dans le Monde des ombres, les entités préexistentielles des Impeccables enseignèrent les Sciences sacrées aux ombres des « êtres purs »; ces Sciences étant secrètes, les futurs initiés ne pouvaient les recevoir qu’après avoir solennellement prêté serment, selon une règle universelle de toutes les doctrines ésotériques ou initiatiques.

p.91 : Un autre événement est dit avoir eu lieu dans le Monde des ombres : la création des descendants d’Adam, sous forme de particules, à partir de la Terre et de l’Eau. Je pense que l’appellation « Second Monde des particules » conviendrait à cette étape, puisqu’elle expliquerait d’une part l’appellation attestée du Premier Monde des particules et correspondrait d’autre part à cette création progressive des Mondes de moins en moins subtils, de plus en plus matérialisés.

p.93 : Ce qui caractérise les Impeccables dans ce Monde de particules, à part leur rôle de maître initiateurs des « êtres purs », c’est ce que l’on pourrait appeler la faculté de « pré-voyance », au sens où ils « voient » dans les particules ou « l’argile » des descendants d’Adam, aussi bien « les purs » que « les impurs », toute leur nature et leur destinée future, jusqu’au moindre de leurs actes, paroles et pensées. Les pouvoirs miraculeux des imâms, relatifs à la lecture de pensée et à la physiognomonie pendant leur existence dans le monde sensible sont parfois présentés comme résultant d’une réminiscence de ce qu’ils avaient « vu » dans « l’argile » des hommes dans le Monde des particules.

p.100 : Dans une tradition de Ja’far, ‘Illiyyin est remplacé par le Trône : « Dieu nous créa [i.e. nos entités de lumière ou nos esprits] de la Lumière de Sa Majesté, puis Il donna forme à notre création à partir d’une Argile bien gardée, secrète, tirée du dessous du Trône et Il fit habiter notre forme par notre lumière; nous sommes ainsi des créatures humaines lumineuses gratifiées de ce dont Dieu n’a gratifié nul autre. Et Il créa les esprits de nos fidèles à partir de notre Agrile et leurs corps à partir d’une autre, bien gardée et secrète, plus basse que la notre. A part nos fidèles et les prophètes, Dieu ne gratifia de cela nulle autre créature. C’est pour cette raison que seuls, nous et eux [i.e. nos initiés, les êtres humains purs, les prophètes et les fidèles des imâms], méritons d’être appelés des hommes, alors que les autres ne sont que des moucherons destinés au feu de l’Enfer.

p.101 : Selon la tradition imâmite, les initiés à l’ésotérique de la religion ont le même « poids » spirituel que les prophètes dans l’économie universelle du Sacré et dans la lutte contre les Armées de l’Ignorance.

(…) La croyance à des créations cycliques et des humanités successives existe dans l’imâmisme ancien, bien qu’aucune précision ni développement ne soient apportés par les imâms à ce sujet; la tradition de base de cette croyance se trouve dans le commentaire d’al-Bâqir au Coran : « Sommes-Nous alors fatigué [c’est Dieu qui parle] par la première création pour qu’ils soient dans le doute sur une nouvelle création ? »

p.102 : « Crois-tu que Dieu n’a créé que ce monde ? Qu’Il n’a pas créé d’autres humanités que vous ? Certes non, Il a créé des milliers et des milliers de mondes, des milliers et des milliers d’Adam et tu n’habites que le dernier de ces mondes, parmi la dernière de ces humanités adamiques. »

p.103 : « Nous étions des silhouettes de lumière, déclare le Prophète, jusqu’à ce que Dieu voulût créer nos formes; Il nous transforma en une colonne de lumière et nous jeta dans les lombes d’Adam; puis, Il nous fit transmettre à travers les lombes des pères et les matrices des mères sans que nous soyons touchés par la souillure de l’associationnisme ni par aucun adultère dû à l’infidélité; et lorsqu’Il nous fit parvenir dans les lombes de ‘Abd al-Muttalib [grand-père commun du Prophète et de ‘Ali], Il divisa la Lumière en deux et déposa une moitié dans les lombes de « AbdAllah [le père du Prophète] et l’autre moitié dans ceux d’Abû Tâlib [l’oncle du Prophète et le père de ‘Ali]; Âmina [la mère du Prophète] reçut en son sein la moitié qui me revenait et me mit au monde; de même, Fâtima, fille d’Assad [la mère de ‘Ali] reçut en son sein la moitié qui revenait à ‘Ali et le mit au monde. Dieu fît revenir ensuite vers moi la colonne [de lumière] et j’engendrai Fatima; de même Il la fit revenir vers ‘Ali et il engendra al-Hasan et al-Husayn… Ainsi cette lumière se transmettra d’imâm à imâm jusqu’au Jour de la Résurrection. »

p.113 : La Vision par le coeur

« Al-ru’ya bi’l-qalb », que l’on pourrait traduire par « la vision par le coeur » ou bien « la vision par le coeur », semble être une application spirituelle des données relatives à l’entité préexistentielle lumineuse de l’Imâm et trouver ses bases doctrinales dans les éléments cosmogoniques de l’imâmologie ainsi que dans certains traits de la théologie imâmite. Cette notion, jusqu’ici restée inaperçue, fondée sur ce que l’on pourrait appeler « l’anatomie subtile », débouche sur une dimension anthropologique de l’imâmisme et révèle un autre aspect, tout aussi peu étudié, à savoir l’aspect pratique de la spiritualité imâmite ancienne.

p.127 : Cette possibilité de vision découle logiquement, si je puis dire, aussi bien de la cosmogonie imâmite que de sa théorie de la vision fondée sur sa théologie. Nous avons vu en effet que le coeur du croyant fidèle est consubstantiel au corps de l’Imâm, corps identique dans la préexistence à la forme lumineuse de l’Imâm sont donc de nature foncièrement identique, ce qui rend possible l’acte de la vision où le sujet voyant est le « coeur de l’initié » et l’objet vu le « corps de lumière de l’Imâm ». La lumière de l’Imâm en tant que la plus grande manifestation de ce qui peut être manifesté de Dieu semble comprendre plusieurs modalités; certaines allusions des imâms font état de la complexité de ces modalités (…)

p.129 : Bien que possédant toute une « science du coeur », le soufisme primitif sunnite ne fournit que des allusions fort furtives à la vision par le coeur. Les choses semblent commencer à se préciser et être conceptualisées à partir de Najm al-Dîn al-Kubrä (1220-21) et son Ecole.
Dans ses Rawâ’ih al-jamâl wa fawâtih al-jalâl, le Maître du Khawârazm apporte de longs développement sur les « centres subtils » et en particulier « le centre subtil du coeur », siège de l’âme pacifiée, ses lumières et les couleurs qui caractérisent celles-ci ; le Soleil du coeur est appelé le Maître de l’Invisible, le Guide ou la Balance de l’Invisible, élevant le mystique del a station du coeur au Ciel. Najm al-Dîn « Dâyeh » al-Râzî (1256), classifie les lumières colorées visualisées dans le coeur, selon leurs sept degrés ascendants de profondeur : balnche, jaune, bleu-gris, verte, bleu azur, rouge et noire. Chez ‘Alâ al-Dawla al-Simnânî (1336), autre maître kubrâwî, l’ordre des centres subtils et l’échelonnement des lumières colorées sont différentes : le centre subtil du corps physique (litt. le centre subtil du moule) de couleur noire ou gris foncée, celui de l’âme charnelle de couleur bleu-gris; les cinq autres latâ’if sont situés dans le coeur : le centre subtil du coeur ou du Soi en rouge; celui du « Secret » en blanc; celui de l’Esprit en jaune; celui du « Caché » en noir lumineux et enfin celui de la « Vérité » en vert. Bien entendu, à chaque degré, le mystique se rapproche un peu plus de la Réalité divine. A la différence des yoguis indiens, les mystiques musulmans ne semblent pas intéressés par les centres énergétiques subtils répartis dans le buste, le cou et la tête, mais semblent surtout avoir fixé leur concentration sur les centres subtils du coeur, distincts par leurs lumières colorés. Les soufis naqshbandis, eux aussi, distinguent cinq lata’if au niveau du coeur; le maître Mahammad Amîn al-Kurdi al-Shafi’i al-Naqshbandî (1914), dans son ouvrage au titre significatif, L’Illumination des coeurs, les décrit ainsi : le « coeur », situé à deux doigts en dessous du mamelon gauche vers l’extérieur, de couleur jaune ; « l’esprit », à deux doigts en dessous du mamelon droit vers le milieu de la poitrine, de couleur rouge; « le Secret », à deux doigts au-dessus du mamelon gauche vers le milieu, de couleur blanche; « le Caché », à deux doigts au-dessus du mamelon droit vers le milieu, de couleur noire et enfant « le Plus Caché » au centre de la poitrine, de couleur verte. L’auteur donne ensuite la description de la concentration dans chaque niveau et en particulier les dhikr correspondant à chacun d’eux. Ne peut-on pas supposer que les cinq sortes de lumière du propos énigmatique de Ja’far, à savoir le Soleil, le Siège, le Trône, le Voile et le Rideau, chacune un septantième de la suivante, seraient une allusion « archaïque » aux cinq niveaux lumineux du coeur chez les soufis ? De même, les Lumières colorées des propos de ‘Ali et d’al-Ridâ ne désigneraient-elles pas les photismes de couleurs suprasensibles visualisés au niveau du coeur par les mystiques ?

p.132 : La vision par le coeur semble être pratiquée par toutes les principales Ecoles de mystique imâmite, Ecoles organisées en tant que telles essentiellement après le XVIe siècle et la déclaration de l’imâmisme comme religion d’Etat en Iran par la dynastie Safawide. La pratique de la vision est basée sur des techniques de concentration et des oraisons de prières que la maîtres disent avoir reçues par transmission orale grâce à des chaînes d’initiés qui aboutissent toutes aux imâms historiques; le sujet constitue un des plus grands secrets des Ecoles et dans les sources écrites une grande discrétion est de règle sur tout ce qui relève des aspects techniques de la pratique, ou bien les choses y sont expliquées à l’aide d’un langage et d’expressions que seuls les disciples initiés sont censés comprendre. Pourtant, en ce qui concerne notre problématique, certaines allusions, en somme assez rares à travers les textes, me semblent suffisamment parlantes; parmi les maîtres de la confrérie des Ni’matullâhiyya, Muzaffar ‘Ali Shâh (1801) écrit dans son traité en persan intitulé Le Soufre Rouge : « Le coeur réel spirituel est le lieu de manifestation de la Lumière de Dieu et le Miroir des épiphanies de la Présence de l’Imâm; il s’agit d’une entité subtile divine, une entité immatérielle spirituelle. Et la forme physique de ce coeur réel est l’organe charnel de forme pinéale situé à gauche du creux de la poitrine qui est comme une fenêtre donnant sur l’entité subtile spirituelle et comme le vicaire de l’entité immatérielle. Toute épiphanie abstraite réalisée dans le coeur spirituelle, se manifeste sous une forme ou une représentation concrète dans le coeur physique. La forme parfaite, représentation de l’Epiphanie parfaite… est la Forme de l’Homme. Salihiyya, oeuvre de Nûr ‘Ali Shâh le Second (1918), autre maître de la même confrérie, comporte de nombreuses allusions : « La Lumière qui se manifeste dans le coeur est celle de l’Imâm, une Lumière dans le coeur du croyant fidèle, plus éclatante que celle du soleil… Il n’y a en fait aucune commune mesure, la Lumière de l’Imâm est la manifestation de la Lumière de Dieu [ou de la Vérité, haqq] et celle du soleil n’est que ténèbre et poussière… (…)

p.134 (……) : Les soufis de l’Ecole Oveysi (Uwaysî). ont fait de la vision par le coeur la pratique fondamentale de tout leur enseignement ; le mot d’ordre de la confrérie, contenant et résumant selon les maîtres l’alpha et l’oméga de la Voie mystique, c’est « ‘alayka biqalbika », formule lapidaire attribuée à Uways al-Qaranî, célèbre ascète mystique du temps du Prophète de qui l’Ecole tire son nom, et que l’on pourrait approximativement traduire par « à toi de veiller sur ton coeur ». Tout en restant toujours très discret sur les aspects techniques, la confrérie a jugé nécessaire de publier récemment un livre, préparé par un adepte, sur les références à la vision par le coeur, ou censées telles, dans l’Ancien et le Nouveau Testament, le Coran, les hadith du Prophète et des imâms, ainsi que dans les écrits des maîtres de l’Ecole Oveysî; la Lumière du coeur y est considérée comme l’Imâm intérieur du mystique; c’est la prise de conscience et la vision de cet Imâm ainsi que l’obéissance à son égard qui garantissent la progression sur la Voie spirituelle.

p.137 : Plusieurs éléments sont communs dans les expériences visionnaires des mystiques sunnites et shi’ites : la Lumière, le fait qu’à un certain stade de l’expérience la Lumière se manifeste sous une forme humaine et que celle-ci est identifiée, perçue et vécue comme étant la forme lumineuse du Maître divin et enfin le fait que grâce à ce Maître de Lumière, le mystique atteint la Connaissance. [Ces mêmes éléments se retrouvent dans d’autres traditions ésotériques et mystiques; prenons à titre d’exemple certaines traditions hindoues et celle des moines orthodoxes hésychastes]

p.138 : La vision par (ou dans) le coeur aurait été la pratique spirituelle par excellence de l’imâmisme ancien.

p.139 : La pratique aurait comporté une concentration particulière et des répétitions des formules sacrées, mais à ma connaissance, rien n’est indiqué dans le corpus ancien, au sujet d’une éventuelle posture requise.

p.142 : Un texte indien : « Par la concentration sur le centre du coeur, le yogi obtient le savoir illimité, connaît le passé, le présent et l’avenir; il possède la clairvoyance et la « clairaudiance »; il peut voir les dieux et les déesses et maîtrise les êtres surnaturels qui se meuvent dans l’espace. Celui qui, chaque jour, fixe son regard intérieur sur la Flamme cachée du coeur, obtient le pouvoir de se mouvoir dans les airs et celui de se rendre à volonté partout dans le monde « (Shiva Samhitâ)
Il est intéressant de constater que les facultés prodigieuses que le texte shivaïte énumère pour l’ascète qui se concentre sur la « Flamme du coeur » sont exactement celles qui sont attribuées aux imâms et parfois à certains de leurs initiés, en particulier les « représentants » de l’imâm caché.

p.144: Selon mon hypothèse, les allusions « techniques » à la vision par le coeur dans le corpus ancien des imâms, seraient les plus vieilles attestations en Islam, d’une pratique spirituelle qui aura largement cours parmi les mystiques aussi bien sunnites que shi’ites et témoigneraient, au sein de la doctrine imâmite, de l’aspect expérimental d’une imâmologie intériorisée.

p.148 : Il est également rapporté de Ja’far qu’au moment où le femme d’un imâm est conçu dans la matrice de sa mère, celle-ci tombe dans une sorte de torpeur semblable à un ravissement qui durera toute une journée ou toute une nuit; elle sera visitée ensuite dans le rêve par « un homme » (rajulan, un ange ayant pris l’aspect d’un homme?) qui lui annoncera la bonne nouvelle et au réveil, elle entendra, venant de son côté droit, une voix annonçant la même heureuse nouvelle; pendant la grossesse, elle se sent légère et au moment de l’accouchement, elle n’a aucune douleur. Lorsqu’arrive le moment de la naissance de l’imâm, un bruit étrange emplit la pièce et une lumière, que seuls les parents peuvent voir, se manifeste dans la maison.

p.149 : Les imâms ont, dès leur naissance, un certain nombre de caractéristiques physiques extraordinaires : ils ont le cordon ombilical coupé, ils sont propres et circoncis, ils sont conscients même pendant le sommeil (…)

p.151 : Un autre phénomène surnaturel accompagne la naissance de l’imâm : l’apparition de la « colonne de lumière » Cette colonne, sa description, ses caractéristiques et l’usage qu’en fait l’imâm sont d’autant plus intéressants qu’ils présentent des analogies frappantes avec les données concernant un phénomène connu dans les sciences occultes et la magie. D’après toute une série de traditions, dès qu’un imâm est né, Dieu fait apparaître pour lui une lumière; celle-ci est décrite de plusieurs façons : la description la plus fréquente est celle d’une colonne de lumière ou d’une colonne faite de lumière, mais elle est dite aussi « minaret de lumière », « lampe faite de lumière » ou encore « une lumière semblable à un lingot d’or. »

p.152 : Dès sa naissance, et durant toute sa vie, l’imâm a le pouvoir de visualiser à volonté la colonne de lumière qui de ce fait est une des nombreuses sources de sa « science initiatique ». Nos traditions insistent plus particulièrement sur deux sortes de connaissance acquises par « vision » grâce à cette lumière surnaturelle : d’abord celle des pensées, des intentions et des actions des créatures : « Pour lui [l’imâm] est instaurée « une Lampe de lumière » grâce à laquelle il connaît les pensées cachées et voit les actions des créatures. Ensuite, la vision de tout ce qu’il veut voir à travers le monde; il s’agit du pouvoir occulte de la vision à distance (…)

p.153 : comparaison de la « colonne de lumière » à l’Akasha ou « lumière astrale »

p.158 : conflit entre ‘Ail et ses compagnons à l’autorité Omeyyade

p.159 : Mu’âwiya, hostile au shî’ites depuis la bataille de Siffin (657), commença le conflit pour le pouvoir, en 669 il fait empoisonner l’imâm. Révoltes réprimées par les Omeyyades

p.160 : passivité du 8ème imâm au niveau politique

p.162 : sixième imâm illustre par sa connaissance traditionnelle et sagesse à caractère ésotérique (gnose mystique, alchimie, astrologie, science occulte des lettres…)

p.163 : raison de la passivité politique des imâms : ils ont à disposition les Livres révélés, appelés les Livres de ‘Ali et Fatima, qui contiennent les noms de tous les souverains ainsi que ceux de leurs pères et ce jusqu’à la fin du Temps.

p.173 : Tout se passe comme si les imâms s’étaient rendus compte et essayaient de persuader leurs fidèles que l’ère de la « bonne entente » entre les pouvoirs « temporels » et « spirituel », comme ce fut le cas au temps du Prophète, était révolue; ils paraissaient avoir déduit que la Vraie Religion (la doctrine ésotérique des imâms), telle qu’ils l’entendaient, et la politique étaient devenues deux pôles à jamais inconciliables.

p.178 : Attitude ambiguë de Ja’far; devant la question claire d’un disciple : « Est-ce que les nages se manifestent à vous ? » le sixième imâm évite de répondre et se contente de caresser la tête d’un de ses fils et de dire : « Les anges sont à l’égard de nos enfants plus gentils que nous-mêmes ». Ensuite, nous l’avons vu, les Impeccables reçoivent, à part l’inspiration des anges, celle d’une entité céleste appelée al-Rûh, entité supérieure aux anges, y compris à l’ange Gabriel, l’ange de la révélation des prophètes. Par ailleurs, nous l’avons également vu, les Impeccables ont sont ontologiquement supérieurs aux prophètes puisqu’ils ont été créés à partir d’une « matière » plus noble, ce qui implique, entre autres, qu’ils ont un rôle plus important que celui des prophètes, dans l’économie sacrée universelle.

p.182 : forces surnaturelles des Imâms

p.183 : divination par jets de pierre

p.186 : Les imâms détiennent la version originelle et intégrale du Coran, trois fois plus volumineuse que la Vulgate constituée sous le califat de ‘Uthmân; d’après les imâms, cette Vulgate a été constituée à partir d’une version mutilée, déformée et censurée dès après la mort du Prophète et la mise à l’écart du pouvoir de ‘Ali.

p.187 : Les Livres Secrets seraient au nombre de sept.

p.192 : La magie, aussi bien la théurgie que la goétie, enseigne que les « liquides » du corps peuvent servir de « véhicules » aux influences spirituelles; nous avons déjà vu que la transmission de la Lumière prophétique/imâmique peut s’effectuer grâce à la substance séminale. (transmission par la salive ou la sueur)

p.195 : initiations où le maître crache dans la bouche de l’élève, exemple dans le tantrisme

p.196 : la Science des imâms : « Le passé c’est ce qui est expliqué; le futur c’est ce qui est écrit; le présent c’est le marquage des coeurs et le percement des tympans. »

p.198 : Dans une tradition d’al-Husayn, rapportée par son fils ‘Ali, il est dit que l’humanité est formée de trois groupes : « les hommes, ceux qui s’assimilent aux hommes et les monstres à l’apparence humaine [ou al-nisnas : être fabuleux et maléfique mi-homme mi-bête]. « Les hommes » sont les imâms, « ceux qui s’assimilent aux hommes » sont les disciples des imâms : « nos fidèles et ils sont de nous » et enfin « les monstres à l’apparence humaine sont les autres : « la majorité », et il montra de la main la masse des gens ». (…) ‘Ali déclare : « … les hommes sont de trois catégories : le Sage divin, le discipline initié [cheminant] sur le sentier de la Délivrance et de stupides moutons obéissant à n’importe quel appel, se dévoyant par n’importe quel vent ; ceux-là ne sont point éclairés par la lumière de la Science et ne s’appuient sur aucun ferme pilier. »

p.199 : L’imâm initie son disciple aux arcanes de la Science et comme on le verra plus loin, aux pouvoirs surnaturels (probablement en le faisant passer par « l’épreuve du coeur », c’est-à-dire, à mon sens, en l’initiant à la « technique » de la vision du coeur) ».

p.200 :  une grande partie des données doctrinales de l’imâmisme ancien, voire leur quasi-totalité, – des développements cosmogoniques aux données eschatologiques en passant par toute la conception de l’Imâm – peuvent difficilement trouver des fondements dans le Coran, ou tout au moins dans le texte dont nous disposons actuellement. Même les herméneutiques spirituelles (ta’wilat) des imâms, somme toute assez peu nombreuses, restent loin de pouvoir justifier le nombre impressionnant des « écart » par rapport au Texte révélé; à moins que l’on considère avec eux que la totalité de la doctrine est l’herméneutique ésotérique du Coran, mais les « clefs » de cette herméneutique ne sont pas présentées, ni la démarche expliquée.

p.201 : publication en 1842 par Garcin de Tassy d’un chapitre inconnu du Coran — cette sourate ne figure pas dans la Vulgate

p.203 : Dans quelle mesure, selon les imâmites, le texte de la Vulgate coranique officielle, constituée sous le califat du troisième calife ‘Uthman b. ‘Affân (644-656), est-il fidèle à la Révélation originelle faite à Muhammad ? La question est extrêmement grave car, comme on le sait, tout le système dogmatique de l’Islam et toute la conscience religieuse musulmane se sont cristallisés autour de ce noyau central sacré qu’est le Coran dans sa recension officielle; la croyance en l’intégrité et la fidélité de cette version par rapport à la Révélation divine faite au Prophète constitue un des articles de foi les plus inaliénable de l’Islam.

p.204 : plusieurs thèses à ce propos

p.205 : Les imâms ont sérieusement mis en doute l’intégrité de la Vulgate ‘uthmânienne; cette thèse est effectivement corroborée par les données du corpus ancien des imâms, mais les savants qui l’ont soutenue, probablement faute d’avoir dépouillé systématiquement les textes de base, n’ont pu ni apporter toutes les informations concernant le Coran intégral des imâms, ni examiner les implications dogmatiques du sujet.

p.206 : Selon les chiffrages classiques, le nombre de versets du Coran varie entre 6000 et 7000; le Coran intégral originel, transmis par le Prophète à ‘Alî et par lui aux autres imâms, est donc près de trois fois plus volumineux que la recension officielle.

p.208 : Le Coran intégral passait donc secrètement d’un imâm à l’autre jusqu’à ce qu’il fût emporté par l’imâm caché sans son occultation.

p.210-211 : exemple de citations du Coran différentes que celles que l’on connaît (texte altéré)

p.214 : les Impeccables parlent de falsification, d’altération ou de changement du Coran

p.217 : Les deux premiers califes, Back et ‘Umar, sont présentés comme étant les principaux responsables de la « trahison » envers le Livre divin

p.220 : Comme on l’a vu, les imâms ont interdit à leurs fidèles de manifester leur Haine ou leur Désobéissance sous forme de révolte et d’insurrection ouverte; la barâ’a doit donc rester intériorisée (tout comme d’ailleurs la walaya, en case de danger de mort pour celui qui la professe) jusqu’au Retour de l’imâm caché, même si extérieurement il y a contraire d’obéissance envers les injustes; c’est une des facettes du Combat qui oppose depuis toujours les initiés aux contre-initiés et le sabbalsahaba est une manière de l’entretenir.

p.221 : Dans leurs lettres confidentielles aux disciples, les imâms répètent à plusieurs reprises et avec insistance qu’il faut garder secret le problème de la falsification du Coran par les Compagnons.

p.228 : Les prodiges des imâms sont présentés comme les conséquences de leur science initiatique, en accord avec l’antique adage ésotérique : « Savoir c’est Pouvoir ».

p.229 : L’imâmisme ancien est une doctrine initiatique, de caractère ésotérique et occultiste. Les imâms enseignent leurs connaissances secrètes, faisant partie de leur ‘ilm, à un nombre restreint de leurs disciples intimes qui à leur tour deviennent capables d’accomplir des prodiges.

p.232 : Les imâms détiennent avec le Nom Suprême de Dieu (une formule magique?), d’autres « éléments de pouvoir » aux puissances magiques; il s’agit d’objets rituels et/ou individuels ayant appartenu aux prophètes:  la tunique d’Adam, le Sceau de Salomon, la tunique de Joseph ayant appartenu à Abraham, le Bâton, la cuvette du sacrifice, l’Arche et les Tables de Moïse, la bague, la cuirasse, et l’Arme de Muhammad, cette dernière n’étant autre que le Dhû l-faqâr, le fameux sabre à double tranchant apporté du ciel par l’ange Gabriel.

p.234 : Les imâms ont le pouvoir de physiognomonie, de lecture de pensée, connaissent toutes les langues humaines ou celles des Livres sacrés du passé, mais aussi le langage des oiseaux, des animaux, et des métamorphosés, c’est-à-dire des êtres humains morts et réincarnés sous forme d’une bête souvent nuisible ou maléfique. Les imâms ont les jinn à leur service et leur procurent des enseignements religieux. Il est également rapporté que les objets inanimés obéissent aux imâms et communiquent avec eux. Nous avons déjà vu que les imâms avaient le pouvoir de voir les morts et de communiquer avec eux.

p.235 : l’imâm ouvre « l’oeil spirituel » de son disciple : Ja’far al-Sadiq touche les yeux d’Abu Basir et lui permet de contempler les mystères du ciel.; une autre fois (…) l’imâm effectue le même geste sur le même disciple, ce qui rend capable ce dernier de « voir » les vraies natures de la grande majorité des pèlerins : des singes et des porcs.

p.237 : pouvoir de « chevaucher les nuages et monter dans les cieux »

p.238 : Les imâms possèdent ce que l’on pourrait appeler « l’oeil spirituel ». C’est « l’oeil » grâce auquel l’imâm « voit » simultanément dans toutes les directions et qui reste éveillé même pendant le sommeil. Il s’agirait du même « organe subtile » que l’Oeil de Shiva des hindous, le Troisième Oeil des tibétains ou l’Oeil astral des occultistes, mais, alors que ceux-ci le situent d’habitude au niveau du centre subtil intersoucillier, ici il est localisé au niveau du coeur.

p.241 : justification de l’astrologie par les imâms : « ne cause aucun tort à la religion », mais il faut l’employer de manière très précise, en utilisant la science des imâms

p.243 : L’imâm reste vivant même après avoir quitté le monde sensible. « Parmi nous, déclare Ali, celui qui meurt n’est pas mort. » Les Impeccables trépassés sont transférés dans un Monde suprasensible où, vivant sous « leur tente faite d’argent », ils peuvent être visités par leurs fidèles initiés.

p.253 : tout ce qui touche le douzième imâm est marqué par le sceau du secret

Tous les mouvements « mahdistes » étaient persécutés, toutes les rébellions réprimées dans le sang

p.259: Les imâms ont volontairement brouillé les pistes sur le douzième imâm pour protéger son sort

p. 262 : symbolisme du 12

p.265 : mère du 12ème imâm :esclave noire, probablement originaire de Nubie, ou petite-tille de l’empereur de Byzance (autre version) — prénom de fleur => comme pour les femmes esclaves

p.267 : lumières et phénomènes étranges à la naissance du 12ème imâm

p.284 : signe du retour du Mahdi : dégénérescence du monde, corruption etc etc etc superficialité vice etc etc perte du sens du sacré  etc etc

p.287 : signe de l’apocalypse : « Le Cri », d’origine surnaturelle, deux fois avant l’avènement du Mahdi

p.291 : Rappelons-nous aussi que grâce au Mahdî, les hommes retrouveront leur hiéro-intelligence, leur ‘aql, cet « imâm intérieur » de chacun, organe lumineux d’aperception du sacré ayant son siège dans le coeur. cette troisième raison complète la seconde au sens où les religions rétablies par le Madhî ne seront plus seulement des dogmes exotériques, mais en même temps des enseignements spirituels ésotériques.

p.294 : L’armée du Qa’im, milice du Mahdî. Leur nombre : 313

p.295 : Aucun ou très peu d’entre eux sont des arabes; effectivement beaucoup de traditions eschatologiques des imâms ont un accent anti-arabe très prononcé; il faudrait sûrement penser que, selon la vision imâmite, les vrais responsables de la décadence de la religion, depuis l’écartement de ‘Ali jusqu’à la persécution voire l’assassinat des imâms et de leurs fidèles, étaient des arabes. A travers les descriptions de l’avènement du Mahdî et de sa Bataille contre les « ennemis », on rencontre souvent des formules telles que : « Malheur aux arabes », « Malheur aux arabes du Mal qu s’approche », « Notre Qâ’im sera sans pitié envers les arabes », (…….)

p.296 : déplacement des compagnons du Mahdi : par le chevauchement des nuages, vol magique

p.297 : les 313 Compagnons sont initiés à ses pouvoirs

p.304 : L’Imâm est le Seuil par lequel Dieu et créatures communiquent. Il est donc une nécessité cosmique, la clé et le centre de l’économie universelle du sacré. (…) Sans Imâm, point de religion : sans ésotérisme, l’exotérisme perd son sens c’est-à-dire son but (…)

p.305 : L’imâmisme originel est un ésotérisme; tous les points étudiés tout au long de ce travail le confirment et il n’est point besoin, je pense, de revenir là-dessus.

p.307 : pratique de la « dispersion des informations » dans le corps jabirien : « les informations d’ordre ésotérique ou occulte, les détails eschatologiques, sont fractionnés et dispersés dans des chapitres qui, le plus souvent, n’ont pas avec eux un rapport logique évident. »

« la doctrine est exposée sous forme d’un véritable « puzzle«  », qui semble viser essentiellement deux buts : d’abord la sauvegarde du secret de la Science sacrée qui par nature doit être d’un accès difficile, car elle ne peut être confiée qu’à ceux qui en sont dignes; ensuite la mise à l’épreuve de la persévérance du fidèle, qui est ainsi invité à reconstituer progressivement le tout à partir de ses parties « dispersées » et ce grâce à son ‘aql.

p.310 : Ainsi, nous trouvons, historiquement aux origines de l’ésotérisme en Islam, une doctrine initiatique, mystique et occultiste.

p.312 : Ajoutons enfin que la Garde du Secret fait partie des Armées de la Hiéro-Intelligence et qu’elle est donc élevée au rang d’une vertu aux portées cosmiques.

La raison invoquée c’est que la masse, « la majorité », dirigée par « les Guides des ténèbres », ignorante et fanatisée de par son obéissance aveugle envers le seul exotérisme, devient violente lorsque les vérités ésotériques lui sont exposées et menace la vie de ceux qui les professent.

(…) sous le règne d’Iblis, comme l’est l’humanité actuelle, la Vraie Religion ne peut être pratiquée qu’en secret.

p.316 : « Il arrive que j’enseigne une tradition à quelqu’un, déclare Ja’far; ensuite il  me quitte et rapport cette tradition exactement comme il l’a entendue de ma bouche; à cause de cela je déclare qu’il est licite de le maudire et de le haïr. » La nette distinction doctrinale entre « imâmites modérés » et « shî’ites extrémistes » ne s’impose donc pas pour ce qui est du milieu imâmite « ésotérique non-rationnel ». On sait que les idées « extrémistes » furent, dans une large mesure, à la base du bâtinisme et de l’ismâ’îlisme, et par l’intermédiaire de ceux-ci, pénétrèrent certains courants soufis, aussi bien sunnites que shî’ites, ainsi que les milieux où se pratiquaient les sciences occultes islamiques; autant de pistes où chercher des traces des « enseignements cachés » des imâms et suivre éventuellement leurs évolutions postérieures.

[note : Certaines études donnent de précieux éléments d’information dans ce sens, mais elles ont besoin d’être révisées ou complétées à la lumière des données d’ordre cosmogonique, occulte et magique de l’imâmisme primitif; citons par exemple E. Blochet, « Etudes sur le gnosticisme musulman »; id, « Etudes sur l’ésotérisme musulman »; T. Andraae, Die Person Muhammeds; L. Massignon, « Die Ursprünge und die Bedeutung des Gnostizismus im Islam », Kâmil M. al-Shaybî, al-Fikr al-shi(i; id., al-Sila bayna l -tasawwuf wa l-tushayyu, Abd Allah S. al-Sâmarrâ’i, al-Ghuluww wa l’firaq al-ghâliya fi l’hadarat al-islamiyya, Bagdad, 1972, J.B. Taylor, « Ja’far al-Sadiq, spiritual forebear of the sûfis »; S. H. Nasr, « Le shî’isme et le soufisme. Leurs relations principielles et historiques »; Y. Marquet , « Le Chiisme au IXe s., à travers l’Histoire de Ya’qûbî », id. « Sabéens et Ikhwân al-Saba »; H. Halm, Die islamische Gnosis, et bien entendu les études consacrées à l’imâmisme dans l’oeuvre de H. Corbin.

p.327 : Les conditions requises pour être un vrai fidèle pendant la période de l’Occultation majeure sont donc l’amour envers les imâms, « la certitude » absolu en la véracité de leurs enseignements et enfin « la connaissance », ce qui, dans la terminologie technique imâmite, signifie la connaissance des secrets initiatiques de la doctrine. Toutes ces conditions n’impliquent qu’une spiritualité religieuse intérieure et individuelle.

p.331 : La croyance fondamentale des imâmites selon laquelle tout pouvoir, avant le Retour de l’imâm caché, est par nature usurpateur, (…) certaines traditions des imâms où ceux-ci attaquent violemment la notion même du gouvernement.


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